Trente militaires sauvés des Roches Noires de La Hague en 1871

Goury 1871. Le canot « L’Es­pé­rance »* de la station de sauve­tage de Goury** sauve trente marins et soldats de « La Sèvre », trois-mâts de la marine impé­riale converti en navire-hôpi­tal. Faisant route de Saint-Malo à Cher­bourg, il s’était égaré dans la brume, puis échoué sur les Roches-Noires de La Hague.

"La Sèvre" bateau trois mâts de la marine impériale échoué à Goury en 1871
"La Sèvre" était commandée par M. Vesque, capitaine de frégate, qui a été une des victimes du naufrage. © DR

6 février 1871. La Sèvre, trois-mâts de la marine impé­riale converti en navire-hôpi­tal, quitte Saint-Malo en direc­tion de Cher­bourg, où elle doit débarquer des bles­sés. À son bord, cent treize hommes d’équi­page et quarante passa­gers – en majo­rité des soldats bles­sés (on est en pleine guerre franco-prus­sienne de 1870–1871).

Alors qu’elle croise au large de la côte ouest du Coten­tin, La Sèvre est prise dans une brume très épaisse et dévie de sa route. Son comman­dant, le capi­taine de frégate Vesque, commet des erreurs de cap et, à 18 heures, le navire s’échoue sur les Roches-Noires, à trois milles à l’ouest du port de Goury. La coque est éven­trée et l’eau s’en­gouffre à bord. Trois embar­ca­tions sont mises à l’eau, dans lesquelles prennent place soixante-dix naufra­gés. Elles arri­ve­ront à bon port dans diffé­rentes loca­li­tés de la côte.

Vingt-et-un naufra­gés accro­chés sur la hune sont récu­pé­rés par les Sauve­teurs en Mer

Vers 20 heures, un habi­tant de la commune d’Au­der­ville entend des cris de détresse venant de la mer, et en aver­tit aussi­tôt Jean-Louis Fabien, patron de L’Es­pé­rance, le canot de sauve­tage de la station de Goury. Le canot est vite lancé, et se dirige en direc­tion des cris parve­nant du navire en détresse. Il progresse à l’avi­ron dans une mer très grosse et un brouillard si épais qu’il inter­cepte même la lumière du phare.

La Sèvre est atteinte à 21 heures et l’Espé­rance l’aborde sous le vent. Vingt-et-un naufra­gés réfu­giés sur la hune sont récu­pé­rés et descen­dus avec une corde dans le canot ballotté par les vagues. Ceux-ci sont trans­bor­dés sur des barques qui sont parve­nues sur zone. Reste encore à sauver neuf hommes accro­chés à la hune du grand mât, la plupart bles­sés griè­ve­ment. L’Es­pé­rance accoste à nouveau l’épave au milieu des débris et parvient à les sauver. Le canot rentre à Goury à 23 heures.

Sauve­tage réalisé lors de la première sortie du canot en bois L’Es­pé­rance de la station de sauve­tage de Goury

Toute la popu­la­tion d’Au­der­ville est venue attendre son retour. Elle s’ar­rache les naufra­gés pour les vêtir, les loger, et leur prodi­guer les secours que réclame leur malheur. Le lende­main, au point du jour, le canot de sauve­tage reprend la mer à la recherche d’autres naufra­gés dispa­rus – le naufrage aura tout de même fait cinquante-trois victimes –, puis sort une troi­sième fois à basse mer avec à son bord un offi­cier de marine chargé de visi­ter l’épave dont on n’aperçoit plus que les bouts de mâts.

Dans son rapport, Michel d’An­no­ville, président du comité de sauve­tage de Goury, souligne que le canot, dont c’était la première sortie, s’est admi­ra­ble­ment comporté. L’équi­pa­ge***, qui a foi dans son bateau, a fait preuve de dévoue­ment et d’in­tré­pi­dité. Bien secondé par la popu­la­tion, le patron Fabien « a pourvu avec célé­rité, intel­li­gence et dévoue­ment aux besoins multi­pliés des naufra­gés ».

* L’Es­pé­rance était un canot en bois à redres­se­ment de 9,78 m, à dix avirons, construit par les chan­tiers Normand au Havre. C’était le premier canot de la station de sauve­tage de Goury. En 1895, il chan­gea de nom pour celui de Baron Larrey, à la suite d’un don effec­tué par ce dernier, vice-président de la Société centrale de sauve­tage des naufra­gés (SCSN), pour hono­rer son père. Le canot fut condamné en 1904, ayant effec­tué cinquante-sept sorties de sauve­tage en trente-quatre ans de service.

** Créée en 1870 par la SCSN, la station SNSM de Goury dispose aujour­d’hui d’un canot tous temps de 17,60 m, le SNS 067 Mona Rigo­let. Construit en 1989 par les chan­tiers Bernard de Locmiqué­lic et CMN de Cher­bourg, refondu en 2006 chez Sibi­ril, il est équipé de deux moteurs Iveco de 400 ch chacun. Il porte le nom de l’épouse du comman­dant Daniel Rigo­let, géné­reux dona­teur et inven­teur d’une combi­nai­son de survie à laquelle son nom a été donné.

*** Les cano­tiers enga­gés sur L’Es­pé­rance : Jean-Louis Fabien, patron ; François Lehar­de­lay, secré­taire du comité de sauve­tage ; Désiré Lavenu, briga­dier ; Jean-Baptiste Hue, Henri Pezet, Jean-Baptiste Picot, Jean Bonissent, Charles Hue, Eugène Fontaine, Charles Lavenu, Pierre Pasquier, Pierre Jean, Jean-Louis Lefrançois, cano­tiers.

Article rédigé par Patrice Brault, diffusé dans le maga­zine Sauve­tage n°149 (3e trimestre 2019)